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Celui qui est l’une des plus grandes figures intellectuelles catholiques est de moins en moins connu dans la culture occidentale !

Mais vous connaissez peut-être Thomas d’Aquin comme l’un des plus grands théologiens et philosophes du Moyen Âge, l’auteur de la Somme théologique et le patron des universités catholiques. Mais savez-vous comment ce fils de noble italien est devenu un frère dominicain, un maître à Paris et un docteur de l’Église ? Suivez-moi dans ce récit qui retrace le parcours extraordinaire de ce génie de la foi et de la raison. Si Thomas était réputé, sans doute à juste titre, pour son calme et son silence, sa vie ne manque pas de rebondissements, tout comme la vie intérieure de cet homme si discret sur lui-même.

Tout commence…

Tout commence en 1225 ou 1226, dans le château de Roccasecca, près d’Aquino, dans le royaume de Sicile. Thomas naît dans une famille puissante, qui le destine à une brillante carrière ecclésiastique. Dès l’âge de cinq ans, il est confié à l’abbaye bénédictine du Mont-Cassin, où il reçoit une première éducation religieuse et littéraire. Ses parents avaient pour dessein de le faire devenir abbé de la riche et puissante abbaye.

Il y reste neuf ans, jusqu’à ce que le conflit entre l’empereur Frédéric II et le pape Grégoire IX pousse ses parents à le mettre à l’abri.

<aside> 💡 Le saviez-vous ? Les anciens biographes de Thomas rapportent un épisode montrant la vocation précoce de Thomas comme théologien : enfant, il demandait aux bénédictins : “Qu’est-ce que Dieu ?”

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Deux rencontres décisives : un philosophe et des religieux

Thomas est alors envoyé à Naples pour poursuivre ses études au Studium generale, fondé par Frédéric II. Il est alors initié aux “arts” et à la philosophie, passage obligé avant la théologie ; ce fut l’occasion de découvrir la philosophie d’Aristote, redécouverte notamment par les traductions arabes.

Outre Aristote et Averroès, le jeune Thomas fit une rencontre décisive : il rencontre les “frères prêcheurs”, un nouvel ordre mendiant fondé par saint Dominique, qui le séduit par sa vie simple et apostolique.

A contre-courant : séquestré par sa famille

À 19 ans, Thomas prend une décision qui va bouleverser sa vie : il décide d’entrer chez les dominicains, contre l’avis de sa famille qui veut le faire abbé du Mont-Cassin. Être dominicain mendiant, c’est beaucoup moins chic ! Il s’agit alors de ramener le jeune étourdi à la raison. Sa mère Théodora le fait enlever et enfermer au château familial pendant un an, espérant le faire changer d’avis. De désespoir, on lui envoya même une prostituée, qu’il accueillit en brandissant un tison ! Mais Thomas reste ferme dans sa vocation et résiste aux tentations et aux menaces ; assigné à résidence, il lit la Bible et les Sentences de Pierre Lombard. Finalement, sa famille cède et le laisse partir.

“Il met sa liberté dans ses liens et sa lumière dans les ténèbres. Opprimé physiquement, il se délie spirituellement.” (Tocco, biographe de St Thomas)

Un Ă©tudiant lent Ă  comprendre ?

Thomas rejoint alors les dominicains. Nous sommes en 1245. Il est envoyé à Paris puis à Cologne pour ses études. Il suit les cours du célèbre Albert le Grand. Il se fait remarquer par son humilité, sa piété et son silence. Ses condisciples le surnomment le “bœuf muet”, pensant qu’il est lent d’esprit. Mais ils vont vite se rendre compte de leur erreur. Thomas suit les cours du célèbre Albert le Grand, qui reconnaît son talent et l’emmène avec lui à Cologne.

De retour à Paris vers 1252, il commence à rédiger ses premiers écrits (des commentaires bibliques) et à enseigner ; surtout il se lance dans un commentaire des Sentences de Pierre Lombard, référence théologique principale et passage obligé pour devenir maître en théologie.

Thomas d’Aquin au secours de la vie religieuse mendiante

<aside> 💡 Du récit de Guillaume de Tocco (1323) : “Lors d’une leçon particulièrement ardue, un élève qui croit Thomas en difficulté s’offre à lui expliquer le cours, s’embrouille, se trompe. Thomas lui propose humblement son aide et éclaircit le passage obscur avec une lucidité si parfaite que le jeune homme, saisi d’admiration, court en référer à Maître Albert. Celui-ci soumet l’étudiant à une séance publique et lui oppose quatre arguments qu’il doit réfuter. Thomas le fait si clairement, si aisément qu’Albert le Grand se tourne vers les élèves stupéfait: « Ah! Vous l’appelez le boeuf muet! Je vous le dis, quand ce boeuf mugira, ses mugissements s’entendront d’une extrémité de la terre à l’autre ».” (trad. Delaporte)

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Il doit affronter les résistances des maîtres séculiers qui voient d’un mauvais œil l’influence des ordres mendiants dans l’université. Il doit aussi faire face aux controverses suscitées par l’aristotélisme et l’averroïsme, qui semblent remettre en cause certains dogmes chrétiens. Thomas se lance alors dans une entreprise audacieuse : concilier la foi et la raison, la théologie et la philosophie, en s’appuyant en grande partie sur Aristote mais en le corrigeant à la lumière de la Révélation.

Thomas rédige des commentaires de la Bible, des questions disputées, des opuscules théologiques et surtout sa Somme contre les Gentils, une apologétique destinée aux non-chrétiens. Il montre que la raison naturelle peut accéder à certaines vérités sur Dieu et sur l’homme, mais qu’elle a besoin de la foi pour être complétée et éclairée. Il distingue les vérités accessibles à la raison (comme l’existence de Dieu) des vérités révélées (comme l’Incarnation du Christ). Il affirme que la philosophie est la servante de la théologie, et que les deux disciplines peuvent collaborer harmonieusement à la recherche de la vérité.

En 1259, Thomas quitte Paris pour l’Italie, où il enseigne la théologie dans différents couvents. Il achève sa Somme contre les Gentils et commence sa Somme théologique, son œuvre maîtresse. Il y expose de manière systématique et synthétique les principaux articles de la foi chrétienne, en s’appuyant sur l’Écriture, la Tradition, les Pères de l’Église et les philosophes. Il y traite de Dieu, de la création, de l’homme, du Christ, des sacrements et de la vie morale. Il y développe une vision réaliste et optimiste de l’homme, créé à l’image de Dieu et appelé à la béatitude éternelle.

En 1268, Thomas retourne à Paris pour un second enseignement. Il doit à nouveau faire face aux attaques des maîtres séculiers et des averroïstes. Il rédige des traités polémiques où il défend les ordres mendiants, la liberté du choix humain, l’unité de l’intellect et l’éternité du monde. Il commente aussi les œuvres d’Aristote, qu’il interprète à la lumière de la foi chrétienne. Il montre que le philosophe grec a découvert des vérités naturelles qui ne contredisent pas les vérités surnaturelles.

En 1272, Thomas quitte définitivement Paris pour Naples, où il est chargé d’organiser le studium generale des dominicains. Il poursuit sa Somme théologique, qu’il n’achèvera jamais. Il commente aussi la Bible et certains psaumes. Il rédige des hymnes pour la fête du Corpus Christi ; son amour pour l’eucharistie est resté célèbre.

Une fin mystérieuse

Le 6 décembre 1273, Thomas vit une expérience mystique qui le bouleverse profondément. Alors qu’il célèbre la messe dans la chapelle du couvent, il entend une voix qui lui dit : “Tu as bien écrit sur moi, Thomas ; que veux-tu en récompense ?” Thomas répond : “Non nisi te, Domine” (Rien d’autre que toi, Seigneur). Après cela, il cesse d’écrire et de dicter. Il dit à son secrétaire : “Tout ce que j’ai écrit me semble comme de la paille en comparaison de ce que j’ai vu et dont on m’a fait comprendre”.